vendredi 3 février 2012

Le cyber-pilori dope l?audience des journaux

 TAMPA (Floride). Le Tampa Bay Times[1], quotidien de qualité a trouvé un moyen hallucinant pour renforcer une audience déclinante : il publie systématiquement les photos d'identité judiciaire (« mugshots ») des personnes arrêtées dans les quatre comtés de sa zone de diffusion. Du conducteur sans permis au violeur en passant par les ivrognes, toute personne interpellée par la police est ainsi clouée à ce pilori [2]d'autant plus redoutable que les noms qui y figurent sont accessibles par Google et ne sont pas effacés, même en cas de classement sans suite ou de relaxe. Le journal télécharge en temps réel les fiches de police avec photos diffusés par les shérifs concernés, et les « balance » sur son site.

 Le succès auprès du public est si éclatant que l'initiative, lancée en 2009, a été suivie par d'autres quotidiens, comme le Chicago Tribune[3].  La mine patibulaire des  trois dernières personnes arrêtées figure en permanence sur la page d'accueil du Times de Tampa.  On peut rechercher les délinquants présumés de son quartier, lancer une recherche par sexe, âge, couleur des yeux, et même taille et poids. On peut aussi visionner les vidéos de certains actes de délinquance enregistrées par des caméras de surveillance.  Les pages consacrées à ces « mugshots » drainent près de 200 000 visiteurs uniques par mois et constituent un nouveau gisement publicitaire pour le journal, dont les pages de petites annonces ont souffert de la crise immobilière. « Le réflexe du public est comparable à celui des gens qui ralentissent pour regarder la scène d'un accident sur l'autoroute », remarque un policier. "S'agit-il de journalisme ou voyeurisme ? », s'est inquiété pour sa part l'Institut Poynter[4], spécialisée dans l'éthique de la presse.

Le succès de la publication des « mugshots » ravit les shérifs qui, élus, y voient une façon de mettre en valeur auprès des électeurs l'activité qu'ils déploient contre la délinquance. Pour booster l'audience de son propre site, le shérif du comté de Maricopa[6], dans l' l'Arizona invite les citoyens à voter pour le « mugshot du jour » – généralement le plus pitoyable – parmi les photos des nouveaux entrants dans les prisons de l'Etat. « La publication des photos d'identité judiciaire est utile à beaucoup de gens : les avocats, les agences immobilières, les employeurs s'en servent pour savoir à qui ils ont affaire, indique Debbie Carter, porte-parole du shérif du comté de Hillsborough où est situé Tampa. Les victimes y reconnaissent parfois leur agresseur  »
Les journaux en tirent aussi bénéfice.
 « Cela coûte très, très peu d'argent [la reprise des informations de la police par le site du journal est automatisée]. Dans tous les cas, c'est rentable pour l'instant", explique Matt Waite, responsable de l'innovation  technologique au Tampa Bay Times. [5]

En Floride également, Cellmates (« compagnon de cellule »), un hebdomadaire vendu 1 dollar contient exclusivement de photos de personnes arrêtées, recherchées ou incarcérées. Il consacre une page spéciale aux enfants disparus. Des sites prétendument de presse mais ne contenant en réalité que des clichés de suspects se sont multipliés.

Que ce soit sur internet ou sur papier, ces galeries de photographies drainent la publicité des… cabinets d'avocats. Ils proposent leurs services pour engager la procédure destinée à obtenir d'un tribunal - seul compétent -, la purge des fichiers et le retrait des clichés des personnes innocentées ou amnistiées.

Les personnes photographiées sont évidemment exclues de ce « business model » présenté comme « gagnant-gagnant ». Comment trouver un travail ou un logement quand votre pedigree complet et une photo de vous, généralement effrayante, apparaît à côté d'une incrimination ?  « J'ai manqué plusieurs embauches parce que l'employeur a tapé mon nom sur Google. Il a rejeté ma candidature à cause de cette photo ancienne. Le cliché avait été pris après une interpellation qui n'a jamais donné lieu à la moindre poursuite », témoigne Rob, sur un forum de discussion. « J'avais été arrêté par erreur. J'ai du payer 1200 dollars pour obtenir en justice le retrait de ma photo », ajoute Tamara.

La diffusion des informations publiées par la police est absolument légale, même si elle porte atteinte à la dignité ou si les charges mentionnées ne sont finalement pas retenues.  Le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis protège la liberté de la presse à la seule condition que l'information soit vraie et factuelle. Les sites internet, eux,  s'en tirent pas une mention hypocrite. « Les personnes apparaissant ici n'ont pas été condamnées pour les faits reprochés lors de leur arrestation et sont présumées innocentes, avertit le Tampa Bay Times. Ne vous fiez pas à ce site pour établir le casier judiciaire actuel de quiconque ».

References

  1. ^ Tampa Bay Times (www.tampabay.com)
  2. ^ pilori (www.tampabay.com)
  3. ^ Chicago Tribune (www.chicagotribune.com)
  4. ^ l'Institut Poynter (www.poynter.org)
  5. ^ le shérif (www.mcso.org)
  6. ^ du comté de Maricopa (www.mcso.org)

Source:http://philippebernard.blog.lemonde.fr/2012/02/03/le-cyber-pilori-dope-laudience-des-journaux/#xtor=RSS-3208

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